Par Eric DELBECQUE,

Directeur du département intelligence stratégique de SIFARIS, Chef du pôle intelligence économique de l’IFET, et Président de l’ACSE

 

Le phénomène est connu depuis longtemps : trop d’info tue l’info. Mais le cybermonde accentue le problème chaque jour davantage et ne cesse de provoquer des effets de seuil. Nous subissons aujourd’hui le bombardement informationnel à travers les chaînes d’information en continu, la presse en ligne, nos mails, nos alertes Google, nos abonnements à un nombre considérable de newsletters de sites ou de blogs, les contenus produits par nos applications et les réseaux sociaux, etc. L’ère digitale entretient incontestablement la surinformation et nous rend de plus en plus inaptes à distinguer l’essentiel de l’accessoire. Même en faisant d’incroyables efforts, il s’avère rapidement impossible de synthétiser au moyen d’une démarche organisée l’ensemble des données qui viennent automatiquement à nous.

De surcroît, ce déferlement informationnel tend à modifier notre perception de ce qu’est véritablement la connaissance du monde, des êtres et des choses. Nous associons de plus en plus savoir et compilation, ou plutôt répétition.

De ce fait, plus rien n’est véritablement approfondi et l’on se contente d’une mise en spectacle de l’information qui ne vise pas à maîtriser conceptuellement et opérationnellement un sujet mais à retenir l’attention du consommateur de données.

Au passage, cela renforce la fragilité des flux médiatiques car le risque de désinformation s’accroît au fur et à mesure que le cybermonde devient un espace de divertissement et non d’apprentissage. Certes, le panorama est plus complexe que cela à dresser : le monde digital ne se réduit pas entièrement à être l’appendice de la société du spectacle. Nombreux sont les internautes, les personnes physiques ou morales à mettre en ligne de l’authentique valeur ajoutée informationnelle. Cependant la logique d’ensemble pousse à la dégradation de la qualité de données diffusées.

L’ensemble de ce processus facilite parallèlement la prolifération de toutes les variantes de théories du complot. Moins l’analyse marque des points au profit d’une dynamique d’échos, de répétition à l’infini aggravant à chaque instant la perte de crédibilité en contenu, plus l’espace se libère pour les interprétations délirantes et malveillantes.

S’ajoutent même éventuellement dans certains cas une intention et des pratiques de « guerre digitale ». Car les « cyberterres » constituent désormais un échiquier privilégié d’affrontement. Il devient donc pour le moins difficile d’évaluer le sérieux des informations répandues de manière exponentielle sur la Toile. Qui peut dire aujourd’hui que tel ou tel contenu résulte d’un travail minutieux d’investigation ou d’une réflexion patiente et nourrie par de solides références ? Qui peut dire que tel média présent sur le Net n’organise pas des données sous un angle particulier, destiné à une opération de management des perceptions ? De plus, la neutralité du réseau s’affirme un mythe.

Dans la mesure où tout-un-chacun peut prendre la parole dans l’arène numérique, plus aucun discours ne peut être sacralisé, ou tout au moins considéré comme un pilier du sens, incontesté et orientant de façon isolée les comportements ou la « fabrication » des idées. Il existe en effet des tendances, mais elles se voient vite concurrencées par des courants contraires.

Que conclure au bout du compte ? Que lutter contre l’infobésité dans le monde digital impose quelques prérequis, notamment celui de disposer d’une bonne culture générale, de chercher en permanence à recouper l’information, et de faire preuve d’esprit critique. L’aventure numérique ouvre des continents formidables, mais il convient de ne pas partir sans équipement de survie…